I.
Il fait bon sortir de temps en temps de la ville où l'on a été renfermé presque toute une année. Il arrive un instant où l'on sent le besoin de se dérober à cette atmosphère limitée et de se livrer à un bon exercice. On veut plus d'air, plus de lumière, plus de soleil. Alors, chaussé de guêtres de cuir, un bâton ferré à la main, le sac sur le dos, on se met tranquillement en route et on bat le pays. Que de fois, séduit par l'attrait d'un splendide horizon, ne nous somme-nous pas surpris à rêver, sur un point de la colline au pied de laquelle se déploie la belle plaine du Rebaut, et où resplendit au soleil la surface argentée de l'Orb aux verdoyantes rives ! Que de fois ne nous est-il pas arrivé de soupirer après les bleuissantes montagnes qui s'interposent comme un rideau entre les yeux du spectateur ! Nous promenions des désirs plus vifs encore sur cette majestueuse chaîne, lorsque l'été dernier nous envoyait son tribut de chaleur sénégaliennes, et qu'en compagnie d'un aimable observateur, nous nous plaisions à regarder le soleil se coucher dans des nuages de pourpre.
Un bon moyen de sentir la nature, n'est-ce pas de s'habituer à lui arracher peu à peu ses secrets ? Mais il faut s'assimiler avec précaution, et, pour ainsi dire, absorber goutte à goutte ce qui nous charme dans elle, nous frappe et nous captive. Si l'on se voit jeté tout d'un coup au milieu de riches et saisissants tableaux, on peut être ébloui, pris de vertige et n’apercevoir, au lieu de ligne, que des ombres. Soyons jaloux de connaître d'abord ce qui nous environne. Les ponts dignes de fixer notre attention – nous sommes assez bien partagés sous ce rapport – ne manquent pas autour de nous. Laissons-nous donc guider par la prudence ; voyageons simplement aux rives prochaines, c'est un précepte du fabuliste : les lointains voyages, les courses hardies, aventureuses viendront plus tard.
Il nous a été donné d'accomplir un vœu modeste que nous avions formé. Dans ce moment, nous nous sentîmes heureux comme un enfant la veille d'un jour de fête. L'espace que nous avons parcouru peut être circonscrit dans un triangle ayant pour sommet Béziers, et pour base la route départementale de Saint-Pons à Bédarieux.
En suivant la route impériale n°12, on voit le château de Poussan-le-Bas avec un vaste parc, de beaux cygnes et une magnifique serre. Le premier village que l'on rencontre, c'est Maureilhan, Maurelianum, sur le ruisseau de Lirou, à huit kilomètres de Béziers. Il conserve les restes d'un vieux château avec des tours rondes morcelées. Une chapelle, dédiée à la Sainte Vierge, y a été construite depuis peu de temps. Le château de la Trésorière est une annexe de cette commune ; il a vu naître deux hommes illustres, D'Ortous de Mairan et M. Flourens. Tous deux ont vu les classes de l'Institut les accueillir dans leur sein, à deux titres divers, comme écrivains et comme savants. Le gros bourg de Puisserguier, Podium Sorigarium, est à sept kilomètres de Maureilhan. Il est dan une plaine bien cultivée, produisant beaucoup de vin rouge et du vin muscat estimé. Sur un riant coteau, blanchit au loin l'ermitage de Saint-Christophe, où la population entière de Puisserguier se rend en procession le lundi de Pâques. Puisserguier fut jadis le siège d'une baronnie. Le château fut pris et rasé, en 1209, par Simon de Montfort.
Nous laissons de côté le chemin de grande communication de Puisserguier à Creissan, Quarante, Cruzy. Avant d'atteindre Saint-Chinian, nous passons devant quelques maisons alignées sur la route impériale. Avec l'adjonction des hameaux de Fraïssé, du Mas de l'Église, de la Gache, de quelques bories et bergeries, ce groupe forme la commune de Cébazan, Cebasanum, Zebezan, Sebaza, peuplé d'environ 400 habitants, sur le ruisseau de Dalvado. La route effleure la base de hautes collines complantées de vignes et d'arbustes et aboutit par des zig-zags à Saint-Chinian.
Saint-Chinian-de-la-Corne, Sanctus Anianus, Saint-Chihnan, Saint-Chignan, est à vingt-trois kilomètres de Saint-Pons. C'est un important chef-leu de canton. Cette petite ville, d'environ 4 400 habitants, est bâtie dans un agréable vallon, sur la rivière de Bernasobres. Il y a eu une abbaye de l'ordre de Saint-Benoît, fondée en 826, par Durand, dans un lieu primitivement appelé Holotian. L'agriculture et l'industrie s'y donnent la main. Saint-Chinian possède des fabriques de cardes et des manufactures de drap pour l'intérieur et pour le Levant. Elle donne son nom à une plaine richement cultivée qui s'étend du côté de Cessenon jusqu'à l'Orb. Le marché du jeudi et les foires du lundi de Quasimodo et du jour des Morts sont très fréquentées. L'ermitage de Notre-Dame, situé dans les environs, attire beaucoup d'âmes pieuses. Le hameau de Babeau se trouve dans un vallon remarquable par son site, son aménité et sa Fraîcheur.
On arrive à Saint-Pons par la rampe dite de Poussarou et par une route tantôt à découvert, tantôt enfoncée dans les montagnes. La commune de Pardailhan, Pardallanim, dont la population, avec celle des nombreux hameaux qui la composent, peut être portée à 1 100 habitants, est à treize kilomètres de Saint-Pons. Ce lieu est renommé pour les navets d'excellent goût que le terrain produit. Les bas-fonds sont passablement cultivés ; les versants des montagnes fournissent de très bons pâturages ; les hauteurs sont garnies de bois de toute espèce.
La ville de Saint-Pons-de-Thomières, Sanctus Pontius Thomeriarum, chef-lieu de canton et d'arrondissement, est à cent vingt-six kilomètres de Montpellier. Elle est bâtie dans un vallon et protégée par de hautes montagnes. D'un énorme rocher s'élevant dan un quartier de la ville même sort une abondante source qui, en se développant, forme le Jaur. Cette rivière partage la ville en deux parties et va se confondre avec l'Orb bien au-dessus d'Olargues.
L'arrondissement de Saint-Pons occupe la partie occidentale du département de l'Hérault. Il est borné au Nord par le département du Tarn ; à l'Ouest par ce même département et celui de l'Aude ; à l'Est par l'arrondissement de Béziers ; et au Sud par le département de l'Aude. Il comprend une partie de la vallée de l'Orb, depuis Colombières jusqu'à Cessenon, la vallée de Jaur, une partie de la vallée de Cesse depuis sa source jusqu'au dessous d'Olonzac, une partie de la vallée de l'Agoût, le vallon de Bernasobres. C'est des quatre arrondissements le moins important et celui dont le sol est le plus pauvre. C'est là que se trouvent les plus hautes montagnes du département. Il y a des champs, des bois, des prairies, des jardins et des terres de dépaissance. Le hêtre, le châtaigner, le pommier, le chêne et le noyer y croissent. Les pâturages sont abondants sur le plateau de l'Espinouse. Au midi, on cultive le grain et la vigne. Cet arrondissement a une superficie de 121 704 hectares 43 ares 27 centiares et une population de 47 262 habitants. Il comprend cinq cantons : Saint-Pons, Saint-Chinian, Olargues, Olonzac, la Salvetat, et 43 communes.
La ville de Saint-Pons doit son origine à une abbaye d'hommes de l'ordre de Saint Benoît, fondé en 936, par Raymond Pons, comte de Toulouse, duc d'Aquitaine, et Garsinde, sa femme. Le duc y fit transporter les reliques de Saint Pons, son patron, martyr de Nice en Provence, et on y célébrait tous les ans la fête de cette translation, le 15 juin. Il voulut aussi que cette abbaye relavât directement du Saint-Siège et qu'elle fût affranchie de toute domination étrangère. Louis IV, d'Outre-Mer, roi de France, la prit sous sa protection ; Aymeric, archevêque de Narbonne, et Rodaldus, évêque de Béziers, en favorisèrent l'accroissement, et elle se trouva bientôt dans une grande prospérité. À la suite d'une guerre survenue entre Raymond VII, comte de Toulouse, et Roger II, vicomte de Béziers et de Carcassonne, uni au roi d'Aragon, le monastère fut presque entièrement détruit. Cependant Raymond, qui en était abbé, fut autorisé, en 1171, par Roger II, à le reconstruire et à l'entourer de murailles. C'est ici l'origine de la ville de Saint-Pons. À partir de ce moment, elle commença à se développer. L'abbaye de Saint-Pons fut détachée du diocèse de Narbonne en 1318, pour être érigée en cathédrale, par le pape Jean XXII ; mais le chapitre resta régulier jusqu'au commencement du XVIIe siècle, où il fut sécularisé. Un de ses évêques devint pape en 1554, sous le nom de Paul III. L'église, dédiée en 937, fut dévastée et brûlée en 1567 par les protestants. l'évêché fut supprimé à la Révolution française ; il avait un revenu de 45 000 livres. Le premier évêque avait été Pierre Roger ; le dernier fut M. Louis de Bruyère Chalabre. L'ancien évêché est occupé aujourd'hui par les bureaux de la mairie, le Palais de Justice, dont la salle d'audience est fort jolie, et une petite salle de spectacle.
L'église paroissiale consacrée à Saint Pons offre des traces de reconstructions diverses ; c'est l'ancienne cathédrale. La façade de l'Occident est dans un style entièrement différent de celui de la première église. La nef est vaste ; au-dessus du maître autel ont été placées de belles orgues. On y remarque de solides et élégantes boiseries dues à Alexandre Farnèse, qui occupait le siège épiscopal en 1514.
Saint-Pons a de vastes tanneries, plusieurs manufactures de draps, des filatures, et fait un grand commerce de bestiaux. Cette ville possède des carrières de pierres, de marbre, et une caverne à ossements au lieu dit le Pontil. Il s'y tient un marché le mercredi et le samedi pour les grains, les légumes, les comestibles et les bestiaux.
Sur la partie haute de la ville est perché le petit séminaire. Le boulanger, seul habitant de la maison en ce moment, était occupé à fendre du bois dans la première cour. Cet homme, d'une excellente nature, nous fit savoir que l'avant-dernier Supérieur avait été nommé, il y a trois ans, évêque de Vannes ; c'est Mgr Dubreuil.
De retour aux bas quartiers, reposons-nous un instant.
(À continuer.)
A. SOUCAILLE.