dimanche 18 octobre 2015

Le retour d'une excursion (2/4)

II.

Nous passâmes à Saint-Pons la veille du jour où allait se tenir la foire du 16 septembre. Les marchands forains, arrivant en nombre, pour être installés dès le lendemain matin, dressaient déjà leur tentes et leurs bancs sur la promenade du Foiral et sur celle des abords de l’Église. Dans notre rapide passage, nous dûmes nous borner à leur souhaiter de bonnes affaires.
Au sortir de Saint-Pons, la route impériale tourne à gauche et traverse le hameau de Courniou ; la route départementale n°11, à droite, mène à la Salvetat. La Salvetat, Salvitas, Sauvetat, lieu d'asile ou de sûreté où l'on se réfugiait pour se soustraire aux guerres que les grands seigneurs se faisaient entre eux, est à vingt-un kilomètres de Saint-Pons ; ce bourg est peuplé de 1 200 habitants ou de 4 000 environs, si on compte la population des nombreux hameaux annexés à la commune.
Le canton, dont il est le chef-lieu, situé à l'extrémité septentrionale de l'arrondissement, est compris entre ceux de Saint-Pons et d'Olargues et le département du Tarn. Il est arrosé par l'Arn l'Agoût et la Vèbre. Il est ceint du sud à l'est par la haute chaîne de l'Espinouse. Il renferme des bois de hêtre, des prairies, d'excellents pâturages nourrissant de nombreux troupeaux de toute espèce, des châtaigniers et des arbres fruitiers. Le bas des montagnes, à cause de l'élévation du terrain, ne peut produire que du seigle. Ma superficie est de 18 925 hectares 9 ares ; la population de 6 336 habitants. Il se compose de trois communes : la Salvetat, Fraïssé et le Soulié ; chacune d'elles renferme beaucoup de hameaux.
La Salvetat se trouve sur un monticule au pied duquel sa déploie un gracieux vallon dans lequel serpente la rivière de l'Agoût. Cet endroit, par lui_même, n'offre rien de curieux ; mais les environs présentent de riches tableaux, des points de vue ravissants. On élève de la volaille et beaucoup de bestiaux ; on y fait d'excellent beurre ; on pêche des truites d'un goût exquis. Le frêne, l'ormeau, le chêne, le noyer, le hêtre sont les arbres du pays. Il y a des fabriques de molletons radius et des filatures de laine. Aux environs se trouve la source minérale dite de Rieumajou. La Salvetat est à 669 mètres au-dessus du niveau de la mer ; la culture du seigle et de la pomme de terre est seule possible. C'est entre Saint-Pons et la Salvetat que s'élève le plateau du Sommail, à une hauteur de 966 mètres. La Salvetat remonte par son origine à l'an 1171. il s'y tient plusieurs foires et un marché tous les mardis pour les bestiaux, les grains, etc.
La route départementale n°8 mène à Bédarieux. Elle côtoie constamment la rivière de Jaur jusqu'à Mons ; puis vient le tour de la rivière d'Orb jusqu'à Bédarieux, ou plutôt jusqu'à Lunas. La distance de Saint-Pons à Bédarieux est de 44 kilomètres.
Avec quel plaisir ne chemine-t-on pas dans cette délicieuse vallée ? Ce qu'on voit, ce qu'on goûte, l'air embaumé qu'on respire font oublier la poussière du chemin, le poids de la chaleur, la fatigue de la marche. Le versant des montagnes est couvert de bois de toute espèce, de châtaigniers, de noyers, de pommiers. Les fruits de l'automne pendaient abondamment de ces arbres. Tandis que les châtaigniers et les pommiers conservent encore leurs produits, pour qu'ils aient le temps d'achever de bien mûrir, les noyers se trouvaient dépouillés de leurs boules vertes. Des groupes de femmes et d'enfants, munis d'une gaule et de paniers, cherchaient avec des yeux de furet les dernières noix oubliées sur l'arbre, égarées sur le sol, ou cachées dans la jonchée. Des carrés de terres retenues sur le penchant des coteaux par un mur de pierre sèche trahissent le désir de cultiver la vigne. Dans l'état de maigreur où se présentent ces vignobles, malgré leur belle exposition au soleil, ils ne feront jamais croire qu'ils puissent donner un jour des ruisseaux de vin. Les bords de la rivière sont émaillés de prairies. Les bosquets d'arbres, les amas de plantes, les touffes de racines, cèdent de temps en temps la place aux lieux habités ; ils apparaissent épars çà et là comme des points blancs ou gris-noirâtres sur ce large tapis de verdure. Ce sont des villages bâtis au bord de la route, des hameaux ou des bergeries qui surgissent sur les flancs ou au sommet de la montagne.
Riols, Rivuli, Riolos, à cinq kilomètres de Saint-Pons, renferme un gîte de minerai de cuivre au hameau de Cazilhac, des fabriques de draps, de savons, de cendres gravelées et des filatures de laine. Un concile provincial fut tenu en 937 au hameau d'Euzèdes ou Auzèdes, dépendant de cette commune. Prémian, Promiane, Prœmianum, à neuf kilomètres de Saint-Pons, possède des filatures de laine. Saint-Vincent, Sanctus Vincentius, plus éloigné de la route, semble perdu dans la montagne et sert de centre à une foule de hameaux éparpillés sur les coteaux ou dans des bas-fonds. En atteignant Olargues, nous nous trouvons avoir fait à peu près la moitié du chemin.
Le canton d'Olargues est compris entre ceux de la Salvetat, de Saint-Pons, de Saint-Chinian et l'arrondissement de Béziers. Il est arrosé par les rivières de Jaur et de l'Orb. Il est montueux, et, en général, de peu de produit. Il se compose de terres labourables, de quelques vignobles, de prairies, de pâturages, de bois de chêne, de hêtre et de châtaigneraies. Sa superficie est de 28 324 hectares 92 ares ; sa population de 10 577 habitants. Il embrasse douze communes.
Le bourg d'Olargues, Olargium, Olarge, Olargua, bâti en rapide amphithéâtre sur le penchant de la montagne et au bord de la rivière de Jaur, est à 19 kilomètres de Saint-Pons. On aperçoit de loin sur la rivière un pont d'une seule arche dont la voûte est remarquable par sa hardiesse et son élévation. L'église a été reconstruite près de la route, mais le clocher de forme élancée, qui servait à l'ancienne, a été laissé sur la hauteur. Ce n'est peut-être pas sans intention. Le son des cloches, s'étendant plus au loin, arrive jusqu'aux hameaux voisins. Les oliviers du vallon d'Olargues ont conservé leur teinte blafarde ; ce n'est pas cette couleur noirâtre présageant une maladie dans les oliviers de l'arrondissement de Béziers. Olargues a eu le titre de baronnie ; son château fut pris et pillé par les Ligueurs. C'est la patrie du médecin et auteur Jean, dit d'Olargues ; il vivait au XIVe ou XVe siècle.
Au hameau de la Trivalle, Tres Valles, commence brusquement le rocher du Caroux dont on aperçoit les pentes abruptes de notre boulevard du nord, lorsque le temps est serein et l'horizon sans nuages. Cette chaîne granitique, d'une hauteur de 1 093 mètres, cache dans ses flancs, comme une aire d'aigle, le triste et pauvre hameau de Héric. Elle s'étend un long espace parallèlement à la route départementale, puis se détourne insensiblement, disparaît derrière les collines du Pujol et d'Hérépian et se confond dans le canton de Saint-Gervais avec la montagne de l'Espinouse et les monts de l'Orb, rattachés eux-mêmes par les Monts Garrigues à la vaste et longue chaîne des Cévennes.
Saint-Martin, Sanctus Martinus de Donzâ, et Colombières, Columberiæ, avec de profondes gorges aux environs, sont les dernières communes du canton d'Olargues. Ce pays est peu productif ; les habitants subsistent généralement par les filatures de laine.
Le Poujol et Hérépian, deux jolis villages, appartiennent au canton de Saint-Gervais. Ici l'aspect du pays change ; il devient riant.
Le Poujol, Pogiolum, Poiolum, situé dans un charmant vallon, possède des filatures de soie et des carrières de grès. Les coteaux sont couverts de vignes et de bois. Dans un lieu isolé, sur la rive droite de l'Orb, subsiste l'église romane de l'ancien prieuré de Saint-Pierre-de-Rèdes. Elle est à une seule nef, terminées à l'est par une apside demi-circulaire, avec portes à l'ouest et au midi. C'est un carré long régulièrement orienté. D'après la tradition, elle serait une des quarante bâties par Charlemagne ; mais, au sûr, elle est antérieure au XIe siècle et peut être, ajouterons-nous, rapportée au Xe siècle.
Un poteau indicateur set placé à l'entrée du chemin de grande communication n°22. Nous arrivons, après avoir parcouru cinq hectomètres à partir de la route, à Lamalou, en longeant la petite rivière de ce nom. Ce hameau de la commune de Villecelle, situé dans un vallon d'un aspect pittoresque, au pied du coteau de l'Usclade, possède un riche établissement thermal de plus en plus fréquenté tous les ans, grâce à l'efficacité des eaux et au bien-être offert aux baigneurs. Il se compose de trois sources appelées : Lamalou-le-Bas ou l'Ancien, Lamalou-le-Centre ou Capus, et Lamalou-le-Haut. Elles sont éloignées l'une de l'autre d'un et de deux kilomètres.
Les eaux de Lamalou-le-Bas, thermales, salines, acidules, gazeuses, d'une température de 34 à 35° centigrade, conviennent dans les affections rhumatismales simples sans complication d'affection nerveuse, dans les engorgements abdominaux et autres. Celles de Lamalou-le-Centre, froides, ferrugineuses, d'une température de 30° centigrade, sont employées pour bains et pour douches, et comme boisson. Nous pûmes voir, en passant, des groupes de buveurs et de buveuses formés auprès de la source de Capus. Enfin, celles de Lamalou-le-Haut, thermales, salines, acidules, gazeuses et ferrugineuses, d'une température de 34° centigrade, sont propres au traitement des affections rhumatismales ou goutteuses, aux faiblesses générales et locales et conviennent à toutes les maladies qui ont un caractère nerveux.
Le chemin de grande communication ne va pas plus loin. On passe sur un pont rustique et l'on arrive dans un bois de magnifiques châtaigniers dont l'épais feuillage ferme toute issue aux rayons importuns d'un ardent soleil, et où il est permis à la masse de l'air de circuler librement. Assis sur un banc de pierre, l'oreille se prêtait malgré nous, dans une prairie voisine, au grincement sourd d'une faux dont le mouvement cadencé multipliait les andains sous les pas d'un faucheur actif. Le gargouillement d'un petit filet d’eau invitait au repos et presque au sommeil le corps humecté de sueur et saisi par la fatigue. Devant nous, des baigneurs allaient et venaient, enveloppés d'un manteau, un linge blanc sous le bras. D'autres, ayant pourvu à ce soin de plus grand matin, liaient un journal ou causaient à l'ombre d'un arbre.
L'hôtel Carel se trouve en face du chemin de Lamalou. Il faut indiquer ce lieu charmant d'habitation, parce que tout près a été tracé un sentier conduisant à la source de la Vernière. Une passerelle jetée sur la rivière d'Orb en facilite l'accès aux visiteurs. L'eau de cette source, située dans la commune des Aires, est froide, alcaline, gazeuse et ne se prend qu’en boisson. Des bancs de gazon ont été disposés çà et là pour la commodité de ceux qui s'y rendent.

(À continuer.)
A. SOUCAILLE.